Chapitre 3
Choix des maisons
— Vous ne pouvez pas enlever dix points à Gryffondor avant même que l’école n’ait commencé ! insista James.
Il devait trottiner pour maintenir le rythme des puissantes foulées de Merlin. Albus les suivait, en se retournant fréquemment pour jeter derrière lui des coups d’œil furieux.
— Retirer des points à la maison d’un élève coupable d’insurrection est le mode habituel de punition à Poudlard, Mr Potter, répondit Merlin d’une voix distraite. Je vous avais demandé de monter la garde auprès du borley – et de ne pas pratiquer la moindre magie en sa présence. Vous avez échoué. Il est heureux que vous ayez au moins pu m’indiquer dans quelle direction il s’était échappé. Je ne remplirais pas mon rôle de directeur si je ne vous punissais pas, d’une façon ou d’une autre, pour votre désobéissance à suivre mes instructions.
James bondit devant le directeur, le forçant à s’arrêter.
— Mais c’est Scorpius qui a lancé des sortilèges ! répéta-t-il. Ce n’est pas de ma faute si cet idiot s’excite aussi vite ! J’ai fait ce que j’ai pu pour l’arrêter !
Merlin scrutait attentivement le couloir.
— Considérez-vous réellement avoir fait tout votre possible pour l’arrêter, Mr Potter ?
— D’accord, (James leva les mains en l’air,) j’aurais pu sans doute m’asseoir sur mon frère pour l’empêcher d’attaquer l’autre débile provocateur.
Merlin hocha la tête, puis il regarda James, lui offrant pour la première fois toute son attention.
— Vous savez, Mr Potter, ce qu’on dit de moi est exact : je viens d’un âge très différent. Quand je donne un ordre, je ne le fais jamais à la légère. J’insiste pour que, à l’avenir, vous vous souveniez qu’un manque d’efforts pour suivre mes instructions me déplaît bien plus qu’un excès. C’est bien compris ?
L’air songeur, James se répéta plusieurs fois mentalement la phrase de Merlin. Puis il leva les yeux vers le directeur, et acquiesça.
— Cela signifie, continua Merlin d’une voix lente, que je m’attends à ce que vous fassiez tout ce qui est en votre pouvoir pour remplir les tâches que je vous donne. Si vous asseoir sur votre frère avait pu aider, eh bien, une autre fois, c’est exactement ce que je veux que vous fassiez. Le borley s’est échappé, et pire encore, votre négligence lui a permis de devenir plus fort. À notre prochaine rencontre, il ne me sera pas aussi facile de le stupéfier. De plus, vous auriez dû réaliser que, jusqu’à présent, il n’était pas très dangereux.
Cette fois, James avait compris. Les sourcils froncés de Merlin et ses yeux intenses étaient très expressifs. James avait toujours la sensation d’avoir été injustement accusé, mais il acquiesça une fois de plus, pour marquer son accord.
— C’est quoi au juste ce truc ? demanda Albus. Ce borley ?
Merlin s’était déjà détourné, sans plus occuper des deux garçons.
— C’est un spécimen de la race des Ombres, les créatures des ténèbres. Ils ont été créés par la magie, et de ce fait, grandissent en l’absorbant. Ils ont pour habitude de provoquer les jeunes sorciers naïfs, pour les forcer à sortir leur baguette et leur faire jeter des sorts qui les rendront plus fort. Quand ils sont petits, les borleys ne sont pas dangereux. Quand ils grandissent par contre…
James suivait toujours Merlin. Il regarda autour de lui dans le wagon.
— Que se passe-t-il quand ils grandissent ?
— Je crois, dit Merlin le visage grave, que vous les appelez des Détraqueurs.
James et Albus connaissaient tous les deux les Détraqueurs. James frissonna.
— J’ai déjà vu ce borley, il y a une semaine, chez mes grands-parents, dit James. Et quelques jours plus tard, quand je suis allé chez un ophtalmo, il était là aussi. Il a tout mis en l’air dans le cabinet, et pourtant, quand le docteur est revenu quelques minutes plus tard, la pièce était en ordre, tout à fait normale. J’ai même cru avoir rêvé.
Merlin s’arrêta au bout du couloir et se tourna vers lui.
— Non, tu n’as pas rêvé, dit-il. Les borleys viennent d’une autre dimension que la nôtre. Ils peuvent manipuler le temps, et resserrer quelques minutes entre elles, comme on plisse un tapis. Tu as vu agir un borley, et tu t’es souvenu du désordre qu’il a créé, mais tu n’as pas eu conscience de son saut en arrière dans le temps, quand il a effacé les dernières minutes.
Albus avait le visage tout crispé de concentration. Puis il secoua la tête pour marquer son incompréhension.
— Quel était son intérêt à faire ça ?
— C’est un réflexe défensif, répondit Merlin. Il l’a utilisé pour couvrir ses traces. De plus, ce genre de manipulations a tendance à troubler un ennemi.
— En tout cas, avec moi, ça a été efficace, admit James.
— Si on ne peut pas utiliser de magie contre eux, continua Albus, comment attraper les borleys ? Que voulez-vous faire avec celui-là après l’avoir… Euh… stupéfié ? Vous êtes reparti chercher quelque chose… c’était ce sac ?
Sans répondre à cette question, Merlin ouvrit la porte de son compartiment. James remarqua pour la première fois que le sorcier avait à l’épaule un énorme sac noir.
— Retournez à vos places, les garçons, ordonna Merlin. Nous allons bientôt arriver. Vous devriez déjà avoir mis vos robes.
— Oui, mais… commença Albus.
Il ne put continuer. La porte du compartiment de Merlin avait claqué en se refermant sur le sorcier. Les vitres de séparation avec le couloir étaient fumées : on ne voyait rien à l’intérieur.
Albus et James n’eurent pas d’autre choix que de retraverser le wagon, vers leur compartiment.
— Ben dis donc, c’était drôlement instructif, remarqua Albus en chemin.
James ne répondit pas. Il était bouleversé d’être tenu responsable de l’évasion du borley. Il n’arrivait pas à comprendre que Merlin l’ait critiqué, lui, alors qu’il avait laissé Scorpius s’en tirer sans même un regard sévère. James réalisa soudain qu’une grande partie de son excitation à retourner à Poudlard cette année venait du lien particulier qu’il avait (ou croyait avoir) avec Merlin, le nouveau directeur. Après tout, James avait aidé, par inadvertance, au retour du grand sorcier à travers les âges. De plus, à la fin de l’année passée, lui et Merlin avaient œuvré ensemble pour faire échouer un complot visant à une guerre entre les mondes magique et moldu. Et pourtant, voilà que James avait réussi à se faire mal voir de Merlin avant même d’arriver à Poudlard !
Au moment où son frère et lui arrivaient devant la porte de leur compartiment, James se souvint des paroles que Rose avait prononcées au début du voyage : « James, n’as-tu jamais pensé qu’un sorcier aussi puissant que Merlin pouvait être encore plus effrayant en étant égoïste que méchant ? »
Mais c’était complètement ridicule, non ? Merlin n’était pas égoïste, juste différent. James connaissait le grand sorcier aussi bien que n’importe qui. Son père lui avait même demandé son avis pour savoir si le célèbre enchanteur ferait ou non un bon directeur. Merlin n’était pas dangereux. Il venait juste d’un très lointain passé, d’un temps où les règles étaient autres. D’ailleurs, Merlin lui-même l’avait admis : il venait d’un âge plus grave, plus dangereux, plus dur. Non seulement James devait absolument s’en souvenir, mais il était également important pour lui d’aider les autres élèves à bien le comprendre.
Quand Albus et James reprirent leurs sièges, la pluie se mit à tomber. Les fenêtres du compartiment étaient zébrées de lourdes gouttes d’eau grise. Ralph dormait dans son coin, son magazine ouvert sur les genoux. Rose était si plongée dans son livre qu’elle remarqua à peine le retour de ses cousins. James sentit son moral sombrer : il était de plus en plus certain que cette année ne serait pas aussi drôle qu’il l’avait espéré.
Alors que le crépuscule tombait, la pluie s’arrêta enfin. James, Albus et Ralph fouillèrent dans leur sac et en sortirent leur robe. Celles des deux Potter étaient déjà toutes froissées. Rose leva le nez de sa lecture, et fit avec sa langue un petit bruit réprobateur.
— Vous n’êtes toujours pas fichus de plier vos habits, remarqua-t-elle.
Albus s’efforçait (vainement) de lisser sa robe avec ses deux mains.
— Ce n’est pas le genre de trucs qui intéresse un garçon, dit-il à Rose. Nous préférons les choses plus chouettes, mais je ne peux pas te les dire. C’est un secret que tu n’es pas autorisée à savoir. C’est aux filles d’apprendre à plier les habits, pour que leurs maris soient chics avant d’aller au travail.
— Je ne compte même pas répondre à une idiotie pareille, dit Rose, en secouant la tête d’un air triste. J’espère seulement que ta sœur est plus douée que vous deux. Franchement, le fils d’une excellente joueuse de Quidditch devrait être meilleur que ça !
Ralph leva les sourcils.
— Il me semble connaître un sortilège de défroissage. Tu veux que j’essaye ?
— Non merci, Ralph, répondit très vite James. Je ne veux pas te vexer, mais je me souviens qu’un de tes sortilèges a rendu Victoire chauve l’an passé. Tu lui as brûlé les cheveux.
— Mais c’était un sortilège de désarmement, protesta Ralph. Et ma baguette est un peu sensible à ce sujet. Je dois toujours m’efforcer de la faire marcher sans qu’elle soit trop puissante.
— Vraiment ? s’étonna Rose. Je me demande quel effet ça fait.
Ralph préféra revenir à la conversation précédente.
— Tu lui as vraiment sauté dessus ? demanda-t-il à Albus.
James et Albus avaient raconté aux deux autres leur rencontre avec le borley, et tout ce qui avait suivi.
— Parfaitement, répondit James, avec un coup de coude envers son frère. Et Scorpius s’est retrouvé par terre, Même si ça m’a causé des tas d’ennuis, c’était super chouette.
Rose se décida enfin à poser son livre à côté d’elle.
— Albus, il faut que tu apprennes à te contrôler, affirma-t-elle, le visage sérieux. Ce sera peut-être difficile, mais tu es désormais à Poudlard, et tu ne peux pas continuer à te jeter sur les gens au moindre commentaire désagréable.
— Au moindre commentaire désagréable ? répéta Albus, outré, en regardant sa cousine. Tu as dû rater quelque chose ! Je te rappelle que Scorpius a insulté notre grand-père. C’est une affaire d’honneur, Rose. Et je recommencerai, tu sais, même s’il ne fait que me jeter un coup d’œil de travers.
— Je n’ai pas dit que tu devais laisser passer, Albus, insista Rose avec conviction, je t’ai juste rappelé que tu étais maintenant à Poudlard. C’est avec la magie que tu dois réagir, et non avec tes poings.
— Pétard ! s’exclama James, avec un rire nerveux. Avec toi, Rosie, la pomme n’est pas tombée loin du pommier.
Rose prit l’air vexé.
— Je suis peut-être la fille de ma mère, James, mais je te rappelle que je suis aussi une Weasley.
Albus fit la grimace.
— La magie ? Peuh ! Je ne sais rien faire avec ma baguette. Et ça m’a fait vraiment plaisir de le flanquer par terre.
Rose jeta à James un regard lourd de sous-entendus.
— Eh bien, j’espère que tu es prêt à assumer. Tu vas devoir protéger ton petit frère toute l’année.
— Non, c’est son problème, protesta James en regardant Albus. Et puis, Scorpius l’a bien cherché. Ce débile a quand même essayé de stupéfier Albus. Ses parents ont déjà dû lui apprendre quelques sortilèges. Heureusement qu’Albus est rapide, et qu’il a de longs bras.
Le train se mit à ralentir pour entrer dans la gare de Poudlard.
— En tout cas, je compte faire quelques recherches intensives au sujet des Borley, dit Rose.
Albus la regarda les sourcils relevés, d’un air moqueur.
— Ne me dis pas qu’il existe des créatures magiques que tu ne connais pas encore ?
— Ces borleys doivent être dangereux, dit Ralph, si Merlin lui-même le dit. Tu as raison, Rose, je présume qu’il nous faut en savoir le plus possible à leur sujet.
James referma son sac, et le passa dans son dos.
— J’aimerais bien savoir pourquoi cette bestiole n’arrête pas de me suivre. Pourquoi moi ?
— De toute évidence, il te pense assez bête pour utiliser ta baguette contre lui, expliqua Rose. D’ailleurs, ça a failli marcher.
— Voilà pourquoi ce truc a filé dans le cabinet médical, ajouta Ralph, un sourcil levé. Dès que tu lui as dit ne pas avoir ta baguette avec toi, le borley a compris qu’il était inutile pour lui de continuer. Aussi, il a tout rangé, et il a reculé dans le temps, pour couvrir ses traces.
— Génial, tu as tout compris, grommela James. J’aurais bien aimé vous voir gérer ça tous les deux, si vous aviez été à ma place. Et puis, je n’ai rien fait ! C’est à cause de Scorpius et d’Albus que le borley est devenu plus puissant. Franchement, ça fiche la trouille d’imaginer qu’un sortilège est un petit goûter pour lui.
Albus cherchait toujours à effacer les plis de sa robe avec ses mains.
— Ne fais pas tout retomber sur moi ! s’écria-t-il. Si tu m’avais aidé à maintenir Scorpius, il n’aurait pas pu sortir sa baguette, et rien ne serait arrivé. Je parie que le vieux Merlin aurait approuvé.
Quelques minutes plus tard, le train s’arrêta avec un brusque sursaut. Tout autour, il y eut le bruit des portes qui s’ouvraient, des pas pressés, des bavardages, des voix excitées, tandis que tous les occupants du train remplissaient les couloirs, et se dirigeaient vers les sorties. James, Albus, Ralph et Rose récupérèrent leurs affaires et se joignirent à la foule.
Une fois descendu sur le quai humide de la gare de Poudlard, James repéra l’énorme silhouette de Hagrid, sous un lampadaire, non loin de là. La tête du demi-géant touchait pratiquement la coupole.
— Première année ! cria-t-il de sa grosse voix bourrue. Première année, par ici, avec moi. Les autres, sortez de la gare, vous trouverez les calèches qui vous attendent juste devant les portes. Et si vous ne connaissez pas le chemin, suivez les élèves plus âgés. Allez, en route !
Pour arrêter son frère qui passait devant lui, James l’attrapa par sa robe.
— Hey, petit frère, dit-il doucement, c’est vrai tu sais, ce que je t’ai dit. Ne t’inquiète pas au sujet de Serpentard.
Albus se dégagea en haussant les épaules.
— Je ne m’inquiète pas, répondit-il. Je me souviens de ce que papa m’a dit tout à l’heure, sur le quai 9 ¾.
— Tant mieux, répondit James, un peu étonné. Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
— Que le choixpeau tiendrait compte de mes souhaits. Que si vraiment je ne voulais pas aller à Serpentard, le choixpeau ne me forcerait pas.
— Toi, un Serpentard ?
La voix dédaigneuse de Scorpius venait d’intervenir derrière eux. James leva les yeux au ciel. Pas étonnant que ce petit crétin soit en plus du genre à écouter les conversations qui ne le regardaient pas.
— Fiche le camp, Scorpius ! grinça Albus, les dents serrées.
— Ou sinon ? insista l’autre avec un sourire moqueur. Tu vas encore créer des ennuis à ton frère si tu te jettes sur moi. Tu sais, Potter, ça ne marchera qu’une fois.
— J’aurais d’autres idées, affirma Albus. Fais attention à toi.
Scorpius s’éloigna en agitant une main dédaigneuse.
— Tu n’as aucune chance de rentrer à Serpentard, dit-il. Dans cette maison, on combat avec son cerveau et sa baguette. Les gens de ton espèce ne connaissent que la force brute, comme les Moldus. Mais qu’attendre d’autre du fils d’Harry Potter ?
Une fois de plus, Albus paraissait prêt à se jeter sur Scorpius, mais James le retint par l’épaule.
— Non, idiot ! Ne recommence pas à répondre à ses provocations. C’est exactement ce qu’il veut que tu fasses.
— Il a critiqué papa ! s’écria Albus furieux.
— Il essaye juste de te provoquer. Garde tes forces pour plus tard. Tu as toute l’année scolaire pour le détester.
À quelque distance, Scorpius, en ricanant toujours, se retourna pour les regarder.
— Exactement, Potter. Écoute ton grand frère. Il sait ce qu’il en coûte de s’attaquer à un Serpentard. Est-ce qu’il t’a raconté comment il a essayé l’année dernière de voler le balai du capitaine de l’équipe de Quidditch de Serpentard ? Brillante opération. J’ai entendu dire, que tu avais terminé le nez dans la boue, Potter ?
Cette fois, James lâcha l’épaule d’Albus. Il avait le visage rouge de colère.
— Fais attention à toi, Malefoy ! aboya-t-il. Aucun Serpentard ne me fait peur.
— Alors tu es aussi idiot que tu en as l’air, répondit Scorpius dont le sourire disparut. Un nouveau Malefoy va entrer à Serpentard. Et nous ne jouons pas à des jeux politiques. Vous devriez vous méfiez tous les deux.
Après un dernier regard noir, le garçon pâle se détourna, les plis de sa cape flottant derrière lui. Peu après, il avait disparu dans la foule.
— Quel abruti arrogant ! s’exclama Albus.
James regarda son frère avec un grand sourire.
— Je te retrouve tout à l’heure dans la Grande Salle, Al.
— Oui. (Puis Albus indiqua du menton les calèches qui attendaient.) Amuse-toi bien avec les Sombrals. Et pas la peine d’avoir peur d’eux.
— C’est toi qui faisais des cauchemars, pas moi ! protesta James, avec une grimace. Je t’ai déjà dit qu’ils étaient invisibles.
Albus fixa son frère, avec une étrange expression sur le visage.
— Quoi ? demanda James.
— Rien, répondit Albus très vite. Je pensais juste à autre chose que papa m’a dit sur le quai, juste avant que je monte dans le train.
Une fois de plus, James s’arrêta, pour demander, sourcils froncés.
— Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
— Que tu risquais d’avoir une surprise avec les Sombrals.
Sur ce, Albus remit son sac à dos sur l’épaule, et avança vers Hagrid qui attendait toujours les « première année » au bout du quai.
Ils n’étaient pas invisibles – du moins, pas complètement. James se figea, inquiet à l’idée d’approcher ces horribles bête, légèrement transparentes, harnachées à l’avant des calèches. Devant lui, un des Sombrals agita lentement ses longues ailes de cuir, puis il tourna la tête et regarda James, de ses énormes yeux blancs, globuleux et grotesques.
— Toi aussi, tu les vois ? demanda une voix.
Surpris, James leva les yeux sur un garçon au large visage et aux joues rouges. C’était son ami, Damien Damascus. Le front légèrement plissé, Damien lui aussi examinait les Sombrals.
— J’ai commencé à les voir au début de ma quatrième année. Je t’assure, ça m’a flanqué un choc. Jusqu’ici, je croyais que les calèches étaient magiques, et qu’elles avançaient toutes seules jusqu’au château. Quand Noah a vu ma tête, il m’a pris à part pour m’expliquer ce qu’étaient les Sombrals. Lui, il les voyait depuis sa seconde année. Ne t’inquiète pas, James, ils sont inoffensifs. En fait, une fois qu’on s’habitue à leur aspect, ils sont plutôt sympas.
James jeta son sac dans la calèche, et monta sur le siège arrière. En même temps, Sabrina Hildegarde s’installait à l’avant. Comme l’an passé, elle portait une plume plantée pour retenir la masse bouclée de ses cheveux roux. La plume remua quand la jeune sorcière se retourna vers James.
— Salut, James. Explique-moi un peu tout ce chambard dans le train. Merlin avait l’air furieux ! J’ai vraiment cru qu’il allait foudroyer quelqu’un.
D’un geste las, James repoussa ses cheveux en arrière.
— Ne m’en parle pas. J’ai déjà fait perdre dix points à Gryffondor.
— Ce n’est pas la meilleure façon de commencer l’année, admit Petra Morganstern, en grimpant à côté de Sabrina, à l’avant. Tu vas te mettre tous les Gryffondor à dos. Tu as de la chance que nous-autres, en septième année, soyons au-dessus de ces mesquineries.
— Je te rappelle que Sabrina et moi sommes en sixième année, grogna Damien. Pour Sabrina, je ne sais pas, mais pour moi, les points de Gryffondor sont hyper importants. Je ne me suis toujours pas remis d’avoir perdu la coupe l’année dernière – ni que ce soit Poufsouffle qui l’ait gagnée ! James, à mon avis, tout est de ta faute. Je ne te le pardonnerai jamais.
— Moi je lui pardonne, dit Petra, en arrangeant sa robe autour d’elle, il a tenté de sauver le monde. Damien, je te signale que toi aussi, tu étais impliqué avec les autres Gremlins.
— Peut-être, mais moi, contrairement à vous, je ne me suis pas fait piquer. C’est bien pourquoi notre regretté capitaine, Ted, m’avait nommé bouc émissaire officiel des Gremlins. Avec moi, toutes les accusations glissent, sans jamais m’atteindre.
— Tu as raison, dit Sabrina sérieusement. Je suis heureuse que nous ayons trouvé une utilité à tes talents cachés.
Avec un brusque sursaut, la calèche se mit en marche. James tourna la tête, et vit la forme spectrale des Sombrals trottiner à l’avant, tirant le chargement. Il plissa les yeux, pour les distinguer mieux.
Damien se pencha vers lui, et lui demanda à voix basse :
— Alors, qui est mort chez toi ?
Surpris, James sursauta, et se tourna vers l’autre garçon.
— Quoi ? (Lui aussi baissa la voix avant de demander :) Comment le sais-tu ?
— Ma tante est morte quand j’étais en troisième année, répondit Damien. Un accident idiot : elle est tombée de son balai après avoir rendu visite à mes grands-parents. Il y avait un orage, et ma mère l’avait prévenue de ne pas voler par un temps pareil, mais tante Aggie se croyait invulnérable. Elle était encore vivante quand ils l’ont amenée à Ste Mangouste, et nous sommes tous allés la voir à l’hôpital. J’étais dans sa chambre quand elle est morte. Et quand je suis revenu à Poudlard, l’année suivante, j’ai vu les Sombrals pour la première fois. D’abord, j’ai eu peur d’être devenu fou, mais Noah m’a expliqué. D’après lui, on peut apercevoir les Sombrals après avoir vu quelqu’un mourir. C’est pour ça je te demande, qui est mort ?
James s’appuya au dossier de son siège, et prit plusieurs inspirations.
— Mon grand-père Weasley, dit-il doucement. Il a eu une crise cardiaque.
— Le vieil Arthur Weasley ? demanda Damien, les sourcils levés.
— Tu le connaissais ?
— Eh bien, non, pas directement, répondit Damien, mais je sais que c’était le beau-père de ton père. Tu sais, Harry Potter est plus ou moins célèbre dans le monde magique. Et puis, tout le monde sait qu’Arthur Weasley a affronté le serpent de Voldy. Pas mal, pour un bureaucrate du ministère. Ça prouve que le courage est plus important que la magie dans les cas d’urgence.
Étonné, James regarda Damien.
— Tu le crois vraiment ?
— Bien sûr, affirma Damien. D’ailleurs, je ne suis pas le seul. Il y a de tout parmi les sorciers, James : des gens qui achètent des potions pour se faire repousser les cheveux ; d’autres qui lisent le Chicaneur ; mais certains, après tout, sont aussi des gens bien.
Une fois de plus, James se tourna pour regarder la silhouette floue du Sombral qui trottait en tirant la calèche sans effort. Et pourtant, la bête était si osseuse et décharnée qu’elle semblait prête à se casser en deux.
— Pourquoi sont-ils transparents ? demanda James après un long moment.
— Quoi ? s’étonna Damien en se penchant en avant. Ils me paraissent parfaitement solides.
— Moi je vois à travers, dit James avec un frisson. On dirait des fantômes.
Damien se renfonça dans son siège. Devant eux, apparaissait déjà l’énorme silhouette du château, derrière une rangée d’arbres.
— D’accord, ça confirme ce que je t’ai dit. Les Sombrals ne deviennent visibles qu’à ceux qui ont vu et accepté la mort. Peut-être n’as-tu pas exactement vu mourir ton grand-père devant toi, comme moi avec ma tante ? Mais s’il était important pour toi, ça veut dire la même chose.
— Nous l’attendions à la maison, tous ensemble, répondit James d’une voix cassée. C’était son anniversaire, et il devait arriver dans la cheminée. Et quand quelqu’un est apparu, ce n’était pas grand-père. C’était un de ses collègues du ministère, pour nous dire qu’il était mort.
— Tu as quand même dû affronter sa mort, dit Damien en hochant la tête. Tu l’attendais, et en quelques secondes, tu l’as perdu. Peut-être n’as-tu pas complètement accepté sa disparition, et c’est pour ça que les Sombrals sont transparents pour toi.
James soupira et ne répondit pas. Il préféra lever les yeux sur le château qui paraissait s’étendre à l’infini. Il y avait une multitude de fenêtres allumées qui brillaient dans la nuit brumeuse. Le ciel était nuageux et sombre. James pensa apercevoir la tour de Gryffondor où son lit l’attendait. Il aurait préféré revenir à Poudlard dans d’autres circonstances. Depuis les funérailles, il se sentait différent. Il n’arrivait pas à accepter que grand-père ne soit pas vivant, quelque part, comme autrefois. Non, réalisa James, il n’avait pas accepté la mort de grand-père. Pas encore. D’ailleurs, il ne voulait pas le faire. Ça lui paraissait injuste envers grand-père : accepter, c’était comme abandonner, oublier.
Pendant un moment, James se demanda si Albus ressentait la même chose que lui. Puis il se souvint de la façon dont son frère avait attaqué Scorpius, dans le couloir du train, en criant : « Reprends ce que tu as dit ! Reprends-le tout de suite ! » James était certain qu’Albus n’avait pas accepté la mort de grand-père. Et pourtant, c’était sans doute différent pour lui, parce qu’Albus avait trouvé une cible à sa colère et à son chagrin. Bien sûr, ce n’était sans doute pas à la façon la plus saine de gérer les choses, mais James ne voyait rien de mieux à faire. Et puis, Scorpius avait vraiment donné à Albus une bonne raison de le haïr. James connaissait bien son frère, il savait que c’était un garçon passionné à l’extrême. En y réfléchissant, James ne savait pas trop s’il devait mépriser Scorpius… ou le plaindre.
James s’étonnait de la relativité du temps, en fonction du moment. À peine une année plus tôt, lorsqu’il était entré pour la première fois dans la Grande Salle, il était plein d’appréhension et d’inquiétude. Cette année, il se mêla avec joie au brouhaha des autres élèves agglutinés, saluant des amis qu’il n’avait pas revus de tout l’été, et étant accueilli à grand cris à la table de Gryffondor. D’innombrables bougies donnaient à la salle chaleur et lumière, ce qui formait un contraste agréable avec les nuages noirs qu’on voyait sur le plafond magique. Peeves errait parmi les lustres, faisant des bruits obscènes avec sa bouche, ou soufflant les bougies pour les éteindre. Mais elles étaient ensorcelées, et se rallumaient aussitôt avec de petits « pop » dès que l’esprit frappeur s’éloignait. James s’installa à table, et saisit, dans un bol devant lui, une poignée de dragées surprises de Bertie Crochue. Courageusement, il en mit une dans sa bouche sans même en vérifier la couleur. Une seconde après, il grimaça et hésita à recracher le bonbon.
— Tu devrais faire attention, James, dit Graham Warton, un autre « seconde année ». Ces dragées nous ont été offertes par tes copains, les Weasley. Ils se sont associés à Bertie Crochue pour créer de nouveaux parfums, et nous avons été choisis pour les tester.
À grand-peine, James réussit à avaler l’horrible dragée, avant de se jeter sur un pichet de jus de citrouille.
— Qu’est-ce que c’était ? croassa-t-il.
— D’après la couleur de ta langue, je dirais que c’était du citron vert, répondit Graham, les yeux plissés. Il y a aussi des chocolat-menthe-suint et des cacahouètes-cornichons.
— Damien vient d’en manger une aux rognons et poivre ! cria Noah Metzker de l’autre bout de la table. Attention, planquez-vous, il va exploser !
James ne put s’empêcher de rire en voyant Damien qui, yeux écarquillés et joues gonflées, tentait d’avaler sa dragée. Petra lui tapa dans le dos avec application jusqu’à ce que Damien se jette à son tour sur un verre plein.
Tout à coup, la foule fit silence. James leva les yeux. Merlin venait de traverser la salle, et montait sur l’estrade au fond de la Grand Salle. Il avait enfilé une robe rouge éblouissante, avec un énorme collet d’or. James reconnut la version antique d’une robe de cérémonie. Les manches et l’avant de la robe étaient brodés de fils d’or, qui dessinaient des enluminures compliquées et paraissaient aussi riches que de véritables joyaux. La grande barbe du sorcier brillait d’huile. Merlin avait à la main son bâton magique dont il frappant le sol au rythme de ses pas. Il était si grand que l’estrade sous lui paraissait petite. Il se pencha en avant, les yeux insondables, et scruta attentivement l’assemblée réunie devant lui.
— Bienvenue à vous tous, élèves et professeurs de Poudlard, école de magie pour sorciers et sorcières, dit-il lentement, tandis que sa voix profonde renvoyait des échos dans toute la pièce. Je suis Merlinus Ambrosius. Au cas où vous n’auriez pas réussi à l’entendre à la radio ou à le lire dans l’un des innombrables journaux du monde sorcier, je suis le nouveau directeur de cette école. À ce propos, j’espère sincèrement ne plus entendre mon nom utilisé sous forme de juron ou autre interjection. Je vous signale que ni moi, ni ma barbe, ni mon caleçon, ne trouvons ces formulations amusantes.
D’après James, ce commentaire aurait pu être amusant si Merlin ne l’avait prononcé avec une gravité menaçante. Le sorcier jeta un regard noir sur les élèves agglutinés, cherchant peut-être quelqu’un susceptible d’oser ne serait-ce qu’un sourire. Apparemment satisfait que ce ne soit pas le cas, Merlin se redressa avec un sourire désarmant.
— Très bien, dans ce cas, continuons. En tant que directeur, je succède à Mrs Minerva McGonagall, qui a accepté, comme vous pouvez le constater, de rester une année de plus dans cette école en tant que conseiller du directeur, et professeur de Métamorphose.
Il y eut des applaudissements spontanés qui semblèrent prendre Merlin de court. Il cligna des yeux, puis sourit légèrement. Les applaudissements devinrent une ovation quand Merlin s’écarta, laissant la parole à l’ancienne directrice. Dans l’allée centrale, devant l’estrade, les « première année » venaient d’arriver, alignés derrière le professeur Londubat. James vit Albus et Rose qui, tous les deux examinaient la Grande Salle avec émerveillement. Rose tourna la tête vers l’estrade lorsque le professeur McGonagall repoussa sa chaise et se leva. Rose la désigna du doigt en envoyant un coup de coude à Albus.
Avec un sourire, McGonagall leva une main.
— Je vous remercie, dit-elle d’une voix assez forte pour couvrir le tumulte. C’est très gentil. Mais je vous connais bien, et je sais qu’une grande partie de vos applaudissements s’adresse à l’annonce de mon départ, longuement attendu par certains d’entre vous, j’en suis certaine, quelles qu’en soient vos raisons. C’est sans importance, et j’apprécie néanmoins votre geste.
Il y eut des rires et de nouveaux applaudissements tandis que le professeur McGonagall se rasseyait. À nouveau, Merlin fit face à la foule.
— En plus d’un nouveau directeur, les anciens élèves qui reviennent à Poudlard y trouveront certaines modifications. Pour commencer, je vous présente votre nouveau professeur de Littérature Magique, Juliette Knowles Revalvier. Vous la connaissez sans doute déjà comme un auteur à succès. Je vous présente aussi votre nouveau professeur de Défense contre les Forces du Mal, Kendrick Soufflet.
Plusieurs chuchotements mêlés d’admiration montèrent dans la Grande Salle tandis qu’un homme énorme se levait de son siège, sur l’estrade. Il leva la main en adressant un grand sourire de gagnant aux élèves qui l’observaient. James se souvint de l’avoir croisé dans le train : c’était l’homme qui était passé devant lui et son frère dans le couloir, alors qu’ils cherchaient le borley. Si James ne l’avait pas reconnu alors, il le fit à présent. L’homme avait des cheveux grisonnants coupés plus courts, et au cours des années, il avait pris beaucoup de poids, mais c’était quand même le célèbre capitaine des Busards, l’escadron des Forces Spéciales du monde magique. James remarqua que, à la table des Serpentard, Ralph ouvrait de grands yeux. Son ami Trenton était penché sur lui, de toute évidence pour lui expliquer qui était Kendrick Soufflet. Dans l’allée centrale, devant l’estrade, Scorpius Malefoy tourna la tête, avec une expression dégoûtée.
— J’ai toutes les figurines de Kendrick Soufflet à la maison, chuchota Noah à son voisin. Je les collectionnais quand j’étais petit. En fait, je m’en servais aussi pour attaquer le chat de mon frère, Steven, jusqu’à le rendre enragé.
— Je constate que beaucoup d’entre vous connaissent bien le professeur Soufflet, dit Merlin, sur son estrade. J’espère donc que vous trouverez ses cours aussi intéressants que stimulants. Et maintenant, nous sommes tous prêts à assister à l’une des plus anciennes et des plus intéressantes traditions de cette école : la répartition des nouveaux élèves dans leurs futures maisons. Professeur McGonagall, je vous laisse la parole.
Comme l’année passée, un tabouret de bois avait été installé sur l’estrade. Posé dessus, il n’y avait le choixpeau. Le très vieux chapeau magique de l’école ne ressemblait qu’à un couvre-chef démodé, oublié au fin fond d’une armoire. James savait qu’au temps de ses parents, et aux siècles précédents, le chapeau chantait une sorte de poème pour célébrer une nouvelle année scolaire. L’an passé, ce n’avait pas été le cas. James n’y avait pas réfléchi sur le moment. Il avait simplement pensé qu’après tous ces siècles de bons et loyaux services, le choixpeau méritait bien une petite pause. Mais cette fois, le choixpeau délabré s’agita sur son tabouret, de toute évidence prêt à déclamer. Les plis qui, à la base, formaient une bouche de cuir, s’ouvrirent comme pour une profonde inspiration. Puis d’une petite voix aiguë, les mots du choixpeau résonnèrent dans le silence plein d’expectative de la Grande Salle.
Il y a plus d’un millier d’années que je joue le même rôle ici,
Que je regarde le temps s’écouler de mon perchoir terni
Le château de Poudlard reste fièrement érigé, malgré le poids des ans,
Il sait que le temps ne compte pas pour ceux qui en comprennent le sens
Il y a des héros, il y a des criminels, l’équilibre se maintient
La justice trouve toujours de nouveaux partisans
Dans un passé récent, Voldemort et les siens ont semé la terreur
Et pourtant un enfant orphelin s’est opposé à eux sans peur
Comment comprendre les aléas du destin et ses méandres compliqués ?
Même si les joueurs changent, le thème parait déterminé
Les racines démoniaques cherchent inlassablement un sol fertile
La valeur d’un cœur pur peut arrêter les desseins plus vils
De moi, voyez-vous, dépend le choix de vos maisons
C’est mon rôle de maintenir l’équilibre entre les passions
Je prévois un nouveau combat, aussi long et difficile que le précédent,
J’espère faire mon devoir, et placer chaque nouvel élève dans le bon rang
Où ses qualités trouveront au mieux à se développer
Pour devenir un honorable élément du futur monde sorcier
À Poufsouffle, iront ceux qui prônent l’application au travail et la loyauté
À Serdaigle, ceux dont l’intelligence est la priorité,
À Gryffondor, les courageux qui honorent la vaillance de cœur,
À Serpentard, ceux qui pensent que l’ambition est la plus grande valeur
Que chacun trouve dans sa maison un foyer et le début d’une vocation
Mais n’oubliez pas de réfléchir à vos plus intimes convictions
Ne faites pas l’erreur de juger autrui sur sa seule maison
Regardez au contraire ce que prouvent ses actions
De chacune des quatre maisons peut sortir le pire et le meilleur
Tout dépend de ce qui existe au plus profond de votre cœur
Sous mon chapeau maintenant, asseyez-vous pour entendre mon verdict
Mais soyez bien certains que je découvrirai ce qui en vous existe
Une fois que vous serez assis sur mon tabouret
Vous ne pourrez plus me cacher la moindre de vos idées
Quand le choixpeau termina sa chanson, la Grande Salle explosa dans une gigantesque ovation. Avec un grand sourire, James tourna la tête pour regarder Ralph, de l’autre côté de la pièce, et son ami lui renvoya un sourire timide. Si quelqu’un avait besoin d’entendre les derniers mots du choixpeau, c’était bien Ralph qui, l’an passé avait d’abord été consterné d’être envoyé à Serpentard.
Quand l’excitation se calma, le professeur McGonagall approcha du tabouret où était posé le choixpeau, et sortit de sa poche un très long parchemin. Elle le déroula, et l’étudia à travers ses petites lunettes carrées. Puis elle hocha la tête, baissa le parchemin, et attrapa le choixpeau par la pointe.
— Cameron Creevey, appela-t-elle d’une voix sonore. Veuillez me rejoindre sur l’estrade.
Un garçon minuscule à l’air absolument affolé grimpa les quelques marches, et trébucha jusqu’au tabouret. Impossible, pensa James avec un sourire, que j’aie eu l’air aussi jeune et terrifié l’an dernier. Et pourtant, il se souvenait très bien de la voix magique dans sa tête, alors que le choixpeau réfléchissait dans quelle maison envoyer James. Il était passé de justesse à Gryffondor. Avant qu’il ne s’installe sur le tabouret, dès que Mrs McGonagall – alors directrice – avait prononcé le nom de James Potter, la table des Serpentard avait bruyamment applaudi. Et une très jolie sorcière, nommé Tabitha Violeta Corsica, l’avait regardé d’un air entendu. En y réfléchissant a posteriori, James réalisait que cette ovation n’avait été qu’une ruse des Serpentard pour l’inciter à rejoindre leur maison. James était si inquiet alors, si incertain d’être capable de suivre les traces de son célèbre père, qu’il avait presque failli tomber dans le piège ouvert sous ses pas. Pendant un moment d’incertitude, avec le choixpeau posé sur la tête, James avait réellement considéré devenir un Serpentard. D’ailleurs, le Choixpeau n’avait pas rejeté cette option. À la dernière minute, James s’était repris, avec courage, prouvant ainsi qu’il était véritablement à Gryffondor comme ses deux parents avant lui.
— Gryffondor ! cria en même temps le choixpeau.
Dès que Mrs McGonagall retira le couvre-chef de la tête de Creevey, la table Gryffondor applaudit bruyamment l’arrivée du petit garçon parmi eux. Manifestement soulagé, Cameron Creevey souriait en descendant les marches. Il s’installa entre Damien et un « septième année » du nom d’Hugo Paulson.
— Thomas Danforth, appela le professeur McGonagall, en lisant son parchemin.
Peu après, la table des Serdaigle accueillait bruyamment un garçon aux épaisses lunettes, qui sourit timidement en rejoignant ses nouveaux compagnons. Pendant que le tirage continuait, James regarda dans la Grande Salle, y retrouvant quelques visages connus. Il vit Victoire, tout à fait superbe, assise parmi ses amis de Poufsouffle. Plus loin, au bout de la table des Serdaigle, Gennifer Tellus et Horace Bouleau se chuchotaient des messes basses. James se souvint que, d’après son ami Zane, ces deux-là sortaient ensemble depuis l’été passé. À l’autre bout de la pièce, Tabitha Corsica souriait poliment, les mains posées devant elle sur la table. À sa gauche, était assise Philia Goyle, le visage rigide et sans expression, comme de coutume. À la droite de Tabitha, il y avait Tom Squallus, ses cheveux blonds plaqués en arrière, et ses yeux clairs presque anormalement brillants et alertes. James eut la sensation que le trio Serpentard manigançait un mauvais coup. Puis il se souvint qu’en fait, ces trois-là avaient toujours cette même expression. Ils attendaient sans doute que le choixpeau leur envoie un nouveau…
— Scorpius Malefoy ! appela le professeur McGonagall.
Elle baissa son parchemin, et regarda attentivement les « première année » qui restaient alignés devant elle. Un rictus dédaigneux aux lèvres, Scorpius avança, monta les marches, et s’installa sur le tabouret. Il affichait un air assuré, une jambe repliée sur l’autre. Quand Mrs McGonagall posa le choixpeau sur lui, son visage pointu disparut à la vue de tous.
Plusieurs secondes passèrent. Parce que la cérémonie s’attardait, et que chacun avait faim, il y avait de plus en plus de bavardages dans la Grande Salle. Mais tout à coup, les élèves réalisèrent le délai anormal que prenait le choixpeau pour se décider, et le silence se fit. Sur la tête de Scorpius, le choixpeau ne bougeait pas. Le garçon pâle lui non plus ne bougeait pas. James regarda autour de lui, pour vérifier si d’autres que lui s’inquiétaient de ce délai si long. Tout le monde savait que les Malefoy allaient toujours à Serpentard, non ? Cette famille au sang-pur avait été parmi les plus fidèles partisans de Voldemort. Et le grand-père de Scorpius, Lucius Malefoy, vivait toujours caché pour éviter de payer ses crimes commis comme Mangemort. Le père de James avait d’autres idées. « Lucius Malefoy adore l’idée d’être l’Ennemi Public N°1 du monde magique, avait dit Harry à Ginny, un matin au petit déjeuner, avec un rire moqueur. Mais sa punition la plus terrible est de vivre dans un monde où son idole n’existe plus. » Malgré ça, pensa James, éberlué, comment pourrait-il y avoir une hésitation sur la maison où envoyer un Malefoy ? Scorpius correspondait exactement à ce qu’on attendait d’un Serpentard. Le choixpeau était peut-être détraqué. James envoya un coup de coude à Graham, qui le regarda d’un air interrogateur.
— Gryffondor ! cria tout à coup le choixpeau en se redressant, sa pointe hérissée vers le plafond.
Un silence stupéfait pesa sur la Grande Salle tandis que le professeur McGonagall récupérait le couvre-chef sur la tête de Scorpius. Après un long moment, le garçon descendit du tabouret, et descendit lentement les marches. La table de Gryffondor resta absolument silencieuse quand Scorpius s’approcha. Il ne s’arrêta pas en début de la table où étaient assis tous les autres « première année » nouvellement choisis qui le regardaient, les yeux écarquillés. Les sourcils froncés, James surveillait Scorpius. Il le vit marcher jusqu’au bout de la longue table, tête basse. Arrivé là, le garçon pâle hésita un moment avant de s’asseoir, seul sur le banc du fond. Quand il releva la tête, James remarqua que ses yeux étaient rouges. Scorpius lui jeta aussitôt un regard furibond puis, après un moment, il serra les lèvres, et se tourna pour regarder le reste de la cérémonie.
— Albus Potter ! appela McGonagall dans le silence.
En entendant ce nom, James ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil en direction de la table Serpentard. Cette fois, Tabitha Corsica ne s’était pas levée pour applaudir. Et pourtant, elle continuait à arborer son sourire poli, comme si l’envoi de Scorpius Malefoy chez Gryffondor ne lui posait aucun problème.
En montant les marches vers l’estrade, Albus se retourna. James crut que son frère le regardait, aussi il lui adressa un sourire encourageant et un hochement de tête. Mais Albus n’indiqua pas l’avoir remarqué. Il approcha du tabouret, et le regarda un moment. D’un geste, le professeur McGonagall l’incita à s’asseoir. Le frère de James carra les épaules, se tourna face à la salle, et s’assit.
Cette fois, il n’y avait aucun bavardage dans la Grande Salle quand le choixpeau fut posé sur la tête d’Albus. Tous les yeux étaient braqués sur lui. Il était certain qu’Albus serait envoyé à Gryffondor. Bien sûr, James avait souvent plaisanté à ce sujet, mais s’il l’avait fait, c’était uniquement parce que le résultat final était évident. James frissonna. Tout à coup, il se souvint de la haine avec laquelle Albus avait regardé Scorpius en l’insultant, sur le quai de la gare de Poudlard. Albus avait toujours été un garçon passionné. Parfois, c’était une très bonne chose, merveilleuse même. Mais, comme James l’avait réalisé dans la calèche, une heure plus tôt, une telle passion pouvait aussi inquiéter. Trop tard, James comprit ce qui venait de se passer. Albus ne s’était pas retourné vers lui en montant les escaliers jusqu’à l’estrade. Il s’était retourné pour s’assurer que Scorpius le regardait bien. Il voulait être certain que son ennemi allait assister à toute la scène.
— Serpentard ! cria le choixpeau.
Plusieurs cris étouffés retentirent dans la Grande Salle. Quand le professeur McGonagall récupéra le vieux choixpeau, elle aussi avait l’air plutôt secouée de cette annonce inattendue.
Mais Albus arborait un grand sourire heureux. Il ne regardait pas la table de Serpentard, ni ses nouveaux compagnons qui l’applaudissaient follement. Il fixait l’extrême bout de la table Gryffondor. James n’avait pas besoin de se retourner pour vérifier qui son frère provoquait ainsi, mais pourtant, il le fit.
Scorpius Malefoy rendait à Albus Potter un regard tout aussi intense. En fait, le visage du garçon aux cheveux blonds était purement et simplement un masque de haine.